Recrutée en 2021 par La Fabrique à Initiatives de l’incubateur d’innovation sociale Première Brique, Séverine Foligné est la couturière professionnelle qui porte le projet Toulouse Espace Couture (TEC). Le tiers lieu toulousain, cousu main pour l’entreprenariat et l’insertion par la couture, vient de poser ses machines à coudre à Bellefontaine, dans un espace de 300 m2. Visite guidée.
Partenariat rémunéré par Première Brique
Dans un immense espace lumineux de 300 m2, au 3 place Tel Aviv, au cœur du quartier de Bellefontaine à Toulouse, s’est installé le tiers-lieu Toulouse Espace Couture. Les couturières sont en plein emménagement. Il y a deux semaines seulement, elles étaient au sein du Collectif Abbal de la Reynerie. Le Toulouse Espace Couture, appelé le TEC par les couturières habituées du lieu, regroupe de très nombreux espaces dans ce très grand espace : un coworking pour les cours de couture et les commandes de retouche, des ateliers pour les couturières locataires, une mercerie avec des boutons et tissus de seconde main, un atelier de fabrication de vêtements de travail, ainsi qu’une offre de remobilisation par la couture. En fait, le tiers-lieu n’est pas moins que LE lieu toulousain conçu sur-mesure pour l’entreprenariat et de l’insertion par la couture !
Mais si l’espace est impressionnant par ses dimensions et sa lumière, il l’est tout autant par le foisonnement de tous les projets menés autour de cet « outil couture du faire » qui se le partagent, s’y croisent et s’y côtoient. En dehors du petit bruit discontinu des machines à coudre, le tiers-lieu n’est pas que lumineux par son bâtiment, il l’est tout autant par les couturières-résidentes du lieu. On ne saurait pas trop dire pourquoi précisément – « la magie » sûrement, comme aime à le répéter sa fondatrice, Séverine Foligné –, mais à l’intérieur se dégage une ambiance lumineuse et chaleureuse, conviviale et amicale, bienveillante et apaisante.
Au centre, le grand espace de coworking avec sa grande table de coupe, son meuble rempli de bobines de fils colorés, ainsi que soigneusement posées sur leur table de couture individuelle trois piqueuses plates industrielles, deux surjeteuses professionnelles et huit machines à coudre familiales. « L’espace coworking est dédié aux cours et aux stagiaires, aux retouches et aux confections, précise Séverine Foligné, 47 ans, la porteuse de projet en faisant la visite des lieux. Avant d’ajouter : « Les cours sont à 15 € les 2 heures parce qu’on apporte un vrai accompagnement technique. Ce qui fait qu’on est très complémentaires de ceux donnés par le Centre social du quartier à 8 € l’année, avec qui on s’échange et s’envoie les publics. »
Attablée derrière sa piqueuse préférée, Sarah, 25 ans, étudiante en CAP couture, pique avec dextérité un petit gilet rouge. « Au départ, je suis venue parce que je n’avais ni les moyens d’avoir une machine professionnelle, ni la place pour une grande table de coupe chez moi, et que la location n’était pas chère. Mais ce qui est assez incroyable ici, c’est que l’on peut poser des questions à tous ceux qui sont là, leur demander leur avis sur nos créations, alors même que l’on a tous et toutes des parcours très différents et que l’on ne vient pas non plus pour les mêmes raisons. »
Léa l’animatrice du coworking et Laetitia l’encadrante technique, Marie l’alternante et Hélios le service civique, confirment unanime ses dire par des sourires et en opinant du chef autour de leur comptoir d’accueil. « C’est un vrai espace de vie autour de l’outil couture, décrit la responsable du TEC. Dans lequel, on peut retrouver tous les âges et tous les milieux sociaux, comme des stagiaires d’écoles de couture, d’autres en insertion professionnelle avec l’UCRM, ou venant par le biais des associations du quartier… Et dans lequel il peut y avoir des échanges à la fois techniques et pratiques, informels et universels. C’est le noyau, le cœur du tiers-lieu ! »
C’est quoi un tiers-lieux ?
Le terme « tiers-lieu », originaire des Etats-Unis, provient de l’anglais « third place ». Le tiers-lieu est défini au départ par le sociologue Ray Oldenburg à la fin des années 80, de manière simplifiée, comme un lieu où les personnes se plaisent à sortir et se regrouper de manière informelle, situé hors du domicile (first-place) et de l’entreprise (second-place). Aujourd’hui, ce sont des lieux du faire ensemble : des leviers d’innovation grâce aux espaces partagés qu’ils offrent, des lieux de rencontres et de partage qui encouragent aux collaborations et aux projets collectifs.
Il est vrai que le tiers-lieu fait surtout la part belle à l’entreprenariat féminin dans sa diversité plurielle, mais le lieu est loin de se cloisonner à un public en particulier. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire si l’on s’arrête à des clichés, au Toulouse Espace Couture, il n’y a pas que des femmes. Ce jour-là, Sarah l’étudiante a d’ailleurs emprunté la piqueuse de Mohammad, le couturier salarié du tiers-lieu qui gère toutes les commandes de retouche avec la Conciergerie Solidaire, ainsi que tous les petits contrats de fabrication, telles que des bananes en bâches recyclées confectionnées spécialement pour les Halles de la Machine.
Non loin, se trouve le local de la mercerie solidaire rempli à ras bord de boutons, rubans et autres tissus de seconde main. Les prix affichés sont modiques : boutons à 10 centimes, fil à broder à 1€ l’échevette, ruban à 1€ le mètre, strass thermocollant à 2,50€ la plaque… Et tout le monde y accès. De même qu’au stock de textiles de seconde main. Et Séverine Foligné d’ajouter : « Au début, travailler avec des tissus recyclés, c’était loin d’être une évidence pour certaines couturières… Cette démarche nous a permis de les sensibiliser à la fois aux déchets de l’industrie textile et aux vertus du réemploi. On a pu ainsi travailler de nouvelles techniques très ludiques, comme le boro japonais qui consiste à réutiliser un pêle-mêle de petites chutes de tissus et à les coudre ensemble. » D’autant que grâce à la loi AGEC relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, le TEC collecte des dons de textiles de particuliers ainsi que des rouleaux entiers de tissus au mètre d’entreprises (telles que Ikea) par le biais de Recyclocc Textile.
« Dans ces périodes de baisse globale des subventions, il est important pour nous aussi de trouver des moyens de nous autofinancer. » Séverine Foligné
La visite du lieu sous toutes ses coutures se poursuit… « Dans cet autre espace, Nasser et Marie – une autre couturière professionnelle qui a rejoint le tiers-lieu – vont y installer dans les prochaines semaines leur atelier de fabrication de vêtements de travail (vestes, tabliers…) », annonce Séverine Foligné devant un espace encore vide mais dont le projet va aussi apporter quelques contrats. « Dans ces périodes de baisse globale des subventions, il est important pour nous aussi de trouver des moyens de nous autofinancer », complète la responsable du TEC.
Même installation en cours pour les ateliers des cinq couturières-locataires professionnelles. Des paravents et des marquages au sol indiquent leurs futurs espaces de travail. Seule Maria,est déjà bien installée dans son atelier cosy derrière un voilage blanc tendu. « La lumière est extraordinaire ici pour travailler », apprécie la nouvelle locataire en comparaison à son ancien local qui était sombre et sans fenêtre. De son côté, Corinne,qui a seulement déposé ses deux superbes métiers à tisser professionnels en bois, a l’air aussi tout particulièrement ravie de son nouvel emplacement alors qu’elle cogite encore à son agencement.
Recrutée en 2021 par La Fabrique à Initiatives de l’incubateur d’innovation sociale Première Brique, Séverine Foligné est la couturière professionnelle qui porte le projet Toulouse Espace Couture. « Ce projet est né de deux choses, raconte la porteuse de projet en remontant le fil des événements. D’un côté, il y avait l’étude de marché de La Fabrique à Initiatives de Première Brique qui avait identifié l’envie des couturières de ces quartiers prioritaires de travailler ensemble et pas de chez elles, ainsi que le besoin de toutes les créatrices toulousaines d’ici et d’ailleurs de se fédérer dans un tiers-lieu qui booste l’entreprenariat féminin et fait émerger des idées. Et de l’autre, et c’est là qu’il y a eu quelque chose d’assez magiques, il y avait moi, une couturière-styliste diplômée en micro-entreprise, qui avais aussi cette envie de collectif et l’idée de monter un chantier d’insertion par la couture. »
Et depuis le lancement du projet incubé en mars 2022 à la Reynerie dans les premiers locaux de l’Agence Intercalaire, c’est encore et toujours ce qui se passe : « On organise régulièrement des réunions autour de toutes les questions liées à l’entreprenariat que se/nous posent les couturières du lieu…»
« Khadija avait une connaissance des habitants de ce territoire et du quartier hyper précieuse pour le projet. » Séverine Foligné
La fondatrice de Toulouse Espace Couture se souvient alors de son propre parcours d’entrepreneuse sociale. « Quand j’ai été accompagné par Première Brique pour porter ce projet, je n’y connaissais rien du tout. Et pour moi, tout l’aspect administratif (le montage d’association, les demandes de subventions…) m’apparaissait comme quelque chose de complexe… »
D’ailleurs, la toute première difficulté à laquelle la porteuse du projet a dû se confronter avec le TEC a été de s’approprier le projet initial et ce tout premier espace coquille vide de 150 m2 ! « J’y suis allée au culot, en démarchant des couturières sur les marchés de Noël et dans mon réseau », se rappelle-t-elle, évoquant par la même ces jours heureux où elle a croisé la route de Fatima d’abord, l’une des premières couturière du quartier, et de Khadija ensuite, l’encadrante technique salariée de l’offre de remobilisation par la couture du TEC InserPro de Toulouse Espace Couture. « Khadija, souligne Séverine Foligné, avait une connaissance des habitants de ce territoire et du quartier hyper précieuse pour le projet. »
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Toulouse Espace Couture, le récit du projet
Dans la salle de cours pratique de l’offre de remobilisation par la couture, sur l’une des dix machines à coudre ou sur la table de coupe, la dizaine d’élèves stagiaires bénéficiaires, de tous âges et toutes origines, semblent particulièrement appliquées à leur tâche. Fatima, 61 ans, a vu sa vie s’arrêter net à la suite d’un cancer du sein en plein Covid. « Alors qu’avant j’avais un travail, j’ai dû m’arrêter et j’ai commencé à me couper du monde, à ne plus pouvoir aller vers les gens. Je suis restée enfermée chez moi, d’abord pour des questions de santé, et puis j’ai ressentie des crises de panique à l’idée de sortir. Depuis, je n’arrive plus à me concentrer, je n’ai plus confiance en moi, je perds vite patience. Et pourtant, la couture, j’en faisais, mais c’est comme si j’avais tout oublier… »
À écouter sa touchante histoire, on comprend vite que la couture n’est pas qu’un simple outil de création textile. Car on le voit rien qu’à sa façon de se raconter, l’élève couturière sexagénaire a déjà commencé à reprendre confiance en elle et en les autres… Tout à coup, face à elle, une élève d’une vingtaine d’années, qui pousse un cri de joie après avoir réussi son point de croix, est instantanément applaudie par le groupe.
« Le fil conducteur, le starter, c’est la couture ! Mais on travaille aussi en collectif tous les codes pour trouver un travail (CV, entretien d’embauche…) ; et en entretien individuel, on cherche à lever tous les freins sociaux vers l’emploi . » Cathy, du TEC InserPro
Au TEC InserPro aussi le mot d’ordre est l’ouverture. La responsable du TEC reste très vigilante quant à la mixité sociale des bénéficiaires : « Pas question par exemple qu’elles se cloisonnent entre mamans de jeunes enfants. En fait, on se rend compte que plus on mélange les publics, y compris avec des hommes, plus les partages d’expériences sont riches. » Même si c’est une vraie chance pour les participantes, car jusque-là, il n’existait en chantier d’insertion pour femmes que les ménages et les espaces verts. La fondatrice du projet confirme tout l’intérêt de cette offre de remobilisation pour les publics éloignés de l’emploi mise en place dans le cadre du TEC InserPro et du Pacte des Solidarités : « En 6 semaines, grâce à l’outil couture, on ramène vers une dynamique d’emploi des personnes qui ont besoin de travailler sur les horaires et l’assiduité, les transports et la langue, la confiance en soi et la patience avec le faire et le défaire… Sans compter qu’on les met sur de vrais projets valorisants avec de vraies techniques de couture, comme le Faire festival ou Toulouse Nouvelle Mode. Ce qui nous oblige à être en innovation constante autour de cet incroyable outil que ce soit pour les cours de l’offre de remobilisation ou ceux de l’espace de coworking. »
En plus des cours de couture collectifs, les huit à dix stagiaires bénéficiaires – qui peuvent avoir des parcours de vie très compliqués (addiction, prostitution, sans domicile fixe, sans-papier…) – disposent d’un suivi individuel de 28 heures. Dans son bureau, Cathy la conseillère en insertion professionnelle précise : « Le fil conducteur, le starter, c’est la couture ! Mais on travaille aussi en collectif tous les codes pour trouver un travail (CV, entretien d’embauche…) ; et en entretien individuel, on cherche à lever tous les freins sociaux vers l’emploi et on met en place ensemble tout un plan d’actions pour leurs projets professionnels. » En sortant de son bureau, Cathy rejoint une bénéficiaire qui lui apporte ses modèles de couvertures brodées pour agendas. « J’essaie de rester en contact avec elles après, assure-t-elle. Même six mois après, ce sont souvent elles qui reviennent nous voir avec leurs créations ou pour suivre les cours de l’espace coworking. »
Sûrement la magie du tiers-lieu et des personnes qui l’animent, comme aime à le dire Séverine Foligné la responsable, mais aussi de ce fabuleux outil du faire qu’est la couture.
Plus d’infos sur : toulouseespacecouture.fr
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Toulouse Espace Couture, le tiers-lieu cousu main de l’entreprenariat féminin
Écoutez le récit du projet Toulouse Espace Couture, raconté par Séverine Foligné, la fondatrice de ce tiers lieu cousu main pour l’entreprenariat féminin, récemment installé dans le quartier de Bellefontaine à Toulouse.
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