Alexia Santese et Venise Jonnet sont les deux cofondatrices de Psy’Script, le site d’accompagnement psychologique pour les victimes de violences conjugales. Retour sur ce dispositif novateur, couvé par l’incubateur d’innovation sociale Première Brique en 2023, qui a fait ses preuves en ruralité.
Partenariat rémunéré par Première Brique.
Lorsqu’on parle des violences conjugales, on pense à un centre d’hébergement d’urgence pour les victimes avec accompagnement psychologique, social et juridique (type APIAF, CIDFF, etc.). Voire à un centre de prise en charge des auteurs (CPCA). Ces dispositifs-là existent bien sûr, mais bien souvent dans les métropoles ou les grandes villes des départements ruraux. Alors comment fait-on quand on est une femme victime de violences intrafamiliales et que l’on vit à deux heures de route de ces structures des sous-préfectures ? Quand tout le monde dans le village nous connaît, pire admire l’autorité et l’implication sociale d’un mari (pompier, gendarme, pharmacien, adjoint au maire, entraîneur de foot…) ? Quand on ne peut en parler à personne par honte et/ou par peur, et que l’on vit isolée socialement et géographiquement ? Et pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : en France, trois quarts des bassins de vie sont ruraux, ils représentent environ 80% de la superficie totale du pays et sont occupés par environ un tiers de la population française totale. Or, ces territoires concentrent 47%, soit près de la moitié, des féminicides constatés chaque année.
C’est ce constat sans appel, cette grande cause nationale, qui a poussé Alexia Santese, juriste en droit de l’homme et droit humanitaire, et Venise Jonnet, psychologue clinicienne spécialisée en criminologie et victimologie, à lancer en mars 2024 Psy’Script, le site d’accompagnement psychologique pour les femmes en situation de violences conjugales. « Zone blanche et manque de psychologues sur les territoires ruraux, problème d’accessibilité et de mobilité, microcosme et isolement social, problématiques de sécurité… Ce besoin de suivi psychologique spécifique, il fallait absolument qu’on le porte, car personne ne le ferait à notre place ! », relate Venise Jonnet, la cofondatrice du projet après avoir soumis l’idée à la responsable d’un centre, en vain. Étonnamment, la juriste et la psychologue se sont rencontrées dans le CPCA Ouest Occitanie ouvert et coordonné par Alexia Santese. « Ce qui était vrai en ruralité pour les auteurs, l’était tout autant voire plus pour les victimes. Mais pour des questions de sécurité, on ne pouvait pas les faire coexister sur une même plateforme… Alors, en tant que féministes, on a choisi d’accompagner les femmes d’abord », raconte la cofondatrice responsable de l’ingénierie de projet et du développement de Psy’Script.
Les obstacles pour les victimes en chiffres
Les remontées de terrain en zone rurale de la Fédération nationale (FNCIDFF) font apparaître les obstacles à l’identification des victimes :
- l’isolement social et géographique (76%)
- l’insuffisante autonomie en matière de mobilité (58%)
- l’absence de services publics, notamment en matière de transport (33%)
- le manque d’anonymat (20%) et l’absence de confidentialité (13%)
Source : Chiffres du rapport d’information au Sénat n°60 du 14 octobre 2021 « Femmes et ruralités».
Mais alors en quoi un simple site de thérapie digitale serait-il socialement innovant ? Et en quoi pourrait-il réellement venir en aide aux femmes victimes de violences conjugales dans les campagnes ? À première vue, ce dispositif numérique pourrait même apparaître trop compliqué, trop froid et trop distanciel. Et pourtant, après un an d’expérimentation, porteuses du projet, bénéficiaires et associations d’aide aux victimes sur les territoires sont unanimes et s’accordent à décrire son incroyable utilité en ruralité. « La psychothérapie par messages écrits différés à distance est particulièrement bien adaptée à ces patientes. Plus que tout autre public, les femmes victimes en milieu rural font face à de nombreux freins (problème de mobilité, honte, respect de l’anonymat, déserts médicaux…) et ont les plus grandes difficultés à franchir le pas d’un cabinet, note la praticienne spécialisée. Par ailleurs, les quelques psychologues installés en libéral dans les villages ne sont pas forcément formés à la prise en charge et à la compréhension spécifique des mécanismes de ces violences faites aux femmes : phénomène d’emprise, impuissance apprise, difficulté à se mobiliser ou à passer à l’action, retournement de responsabilité, violence réactionnelle, culpabilité exacerbée… »
Sans compter que les associations rurales ne disposent pas toujours d’un psychologue en interne, comme le Centre d’information aux droits des femmes et des familles (CIDFF) d’Ardèche. « Psy’Script est un suivi psychologique sur-mesure avec un haut niveau d’expertise sur ces questions de la santé mentale des victimes de violences conjugales. Après un an d’expérimentation dans notre département rural, la vingtaine de bénéficiaires confirment toutes que ça marche, que ça les aide et que ça leur fait beaucoup de bien. Ce suivi psychologique gratuit à distance s’avère être un outil intermédiaire très utile et complémentaire des libéraux et des centres médico-psychologiques », constate Marine Arrès, directrice adjointe du CIDFF d’Ardèche.
Le CIDFF d’Ardèche, l’association partenaire
Le Centre d’information aux droits des femmes et des familles (CIDFF) d’Ardèche est une association avec un agrément d’État (insertion professionnelle, formation, parentalité, violences…) et un agrément du ministère de la Justice sur le champs des violences sexistes et sexuelles (VSS). Le CIDFF dispose d’un lieu d’accueil de jour d’aide aux victimes de violences conjugales, avec des travailleurs sociaux et des juristes qui écoutent, informent et orientent, mais pas de psychologue en interne.
Et à la question, est-ce que le passage à l’écrit peut être bloquant pour certaines patientes ? La psychologue répond : « Je ne me relis pas non plus et ne regarde pas les fautes, ni les miennes ni celles des autres. On ne fait pas de la littérature, mais de la thérapie », tout en précisant qu’au besoin le dispositif peut être souple en augmentant le nombres de visios et/ou de vocaux. Et de compléter pour en développer au contraire tout l’intérêt pour ces patientes : « On s’aperçoit surtout que pour beaucoup de personnes aujourd’hui, téléphoner génère du stress, notamment parce qu’il est difficile de se préparer à un appel : on ne connait pas les questions qui seront posées, on ne sait pas comment on va être reçu, on ne peut pas réécrire 30 fois pour être sûre de ce que l’on veut dire… L’appel, c’est le lieu de l’improvisation, et pour ces femmes qui sont dans l’hyper contrôle de tout, appeler est un véritable défi. L’écrit apparaît donc comme une solution plus simple et plus sécurisante pour libérer la parole. Or beaucoup de dispositifs d’aides aux victimes sont encore sollicitables uniquement par téléphone. »
En janvier 2023, les deux fondatrices toulousaines, convaincues par leur idée mais ne sachant pas trop par où commencer, répondent à l’appel à projets et intègrent l’incubateur d’innovation sociale Première Brique de France Active Occitanie. « Je ne me suis pas inventée des compétences d’entrepreneuse que je n’avais pas », assure Venise Jonnet. Une année durant, pas à pas, d’ateliers de formation en rencontres de personnes ressources, au rythme d’un parcours d’aide à la création d’entreprise sociale fort de dix années d’expériences, la psychologue s’est formée à l’ingénierie de projet au sein de l’incubateur. « Grâce à Première Brique, on a eu accès à un parcours d’accompagnement redoutablement efficace et pertinent, qui nous a fait gagner en confiance, en méthodologie, en compétences, en crédibilité, en plus de nous donner accès à tout un réseau. »
« Sans l’incubateur, Psy’Script n’aurait jamais vu le jour ! » Venise Jonnet
Et la psychologue du projet de confirmer : « Sans l’incubateur, Psy’Script n’aurait jamais vu le jour ! » Assise à côté d’elle dans son appartement, Alexia Santese, l’autre fondatrice plus aguerrie à l’ingénierie de projet, complète : « On a pu aussi acquérir cette culture de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), une façon de vivre l’entreprenariat de manière plus authentique et transparente, y compris vis-à-vis de nos partenaires financiers, et plus vigilante face aux risques induits sur nos vies privées de porteuses de projets. Aujourd’hui, après des années de salariat en CDI, je n’ai aucune envie de revenir en arrière : je ne me vois plus et ne me vis plus que comme une entrepreneuse à part entière ! »
Écoutez le podcast Psy’Script, le récit du projet
Le dispositif Psy’Script est un accompagnement psychologique ciblé, intensif, éclair et encadré. Sa particularité ? Une thérapie brève de trois mois, à raison de deux messages écrits par jour, de une visio par mois, voire de messages vocaux. Le premier rendez-vous se passe toujours en visio afin de pouvoir faire une évaluation psychologique et de récolter le maximum d’informations sur la situation, ainsi que de créer un compte sur la messagerie interne sécurisée.
Dans ce cadre d’écoute et de suivi psychologique spécifique, la praticienne spécialisée change de posture. « Je me mets dans une démarche ‘‘d’aller vers’’. Autrement dit, je n’attends pas que la patiente me demande de l’aide, je lui envoie des messages pour lui dire que je suis là pour elle, je viens aux nouvelles pour l’inciter à m’écrire, surtout au début, je l’encourage, je la félicite… », souligne la cofondatrice.
De son côté, la bénéficiaire peut envoyer son message écrit dès qu’elle en a le temps, la disposition d’esprit et qu’elle se sent en sécurité. Elle peut écrire la nuit, tout en étant sûre de recevoir une réponse dans les 24 heures. Ce qui n’oblige pas non plus, en miroir, à une disponibilité jour et nuit du psychologue. Tel est tout l’intérêt de ce dispositif psy à distance et en léger différé. Depuis qu’elle a quitté son ex avec un simple sac poubelle sous le bras, Charlotte* et ses enfants sont hébergés dans un lieu d’accueil de jour pour femmes victimes de violences. Désormais dans un chez-elle où elle se sent enfin en sécurité, elle apprécie le soutien quotidien de la plateforme numérique psychologique gratuite. « Avec Psy’Script, je n’ai pas besoin de me rendre à un rendez-vous, tel jour à telle heure. Je peux parler quand je le peux, quand je le veux. Une à deux fois par jour, seule dans mon salon, je me pose pour faire le tri et j’écris ce qui me pèse, me bloque, me fait peur. Venise m’aide tellement : même à distance, je ressens un vrai lien entre nous. Ces réponses me permettent de gérer mes émotions, tous les imprévus, tout ce qui parasite mes démarches (justice, logement, travail, finances…) avec l’association locale pour m’en sortir. » (lire le témoignage complet de Charlotte*, dont le prénom a été changé pour sa sécurité).
« Contrairement à un échange oral, sur notre messagerie sécurisée, rien n’est perdu ! La bénéficiaire peut y revenir, relire son message et la réponse de la psychologue. » Alexia Santese
Avoir sous la main un accompagnement et un suivi psychologique quotidien, c’est précieux dès lors que l’on subit des violences physiques, psychologiques et sexuelles, mais ce n’est pas le seul intérêt de la thérapie par message différé. « Passer par l’écrit permet à la patiente – alors même qu’elle est en vrac dans sa vie et on comprend pourquoi – de faire un travail pour se recentrer et analyser elle-même ce qui lui arrive, confirme la spécialiste. La thérapie par l’écrit lui apporte aussi un acte thérapeutique acquis qu’elle sera capable de remobiliser toute seule par la suite. »
Et la responsable du développement de renchérir : « Contrairement à un échange oral, en cabinet ou via un numéro d’écoute téléphonique anonyme et gratuit, comme le 3919 – Violences Femmes info par exemple, sur notre messagerie sécurisée, rien n’est perdu ! La bénéficiaire peut y revenir, relire son message et la réponse de la psychologue. » Surtout quand on sait que les trois praticiennes de la plateforme Psy’Script apportent des réponses qualifiées et qualifiantes pour leurs patientes. « Plus qu’une simple thérapie, on leur procure un suivi psychologique par psychoéducation, c’est-à-dire qui se fait aussi par l’éducation du patient. L’idée étant qu’elles se saisissent et s’emparent de notions, telles que la sidération, la manipulation, voire même des méthodes de guidance parentale. » Certaines se servent de ce parcours psy gratuit pour répondre aux messages de leur ex et pour sortir d’une situation d’emprise, d’autres comme d’un journal intime ou même de formation.
Soutenu financièrement par le Ministère en charge de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, le Conseil Départemental de la Haute-Garonne, le Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA2) et la Banque des Territoires, Psy’Script est une prestation payante par abonnement trimestriel souscrite par les associations locales d’aide aux femmes victimes de violences. « Nos partenaires, qui ont une parfaite connaissance de leur besoin sur le terrain en matière du nombre de personnes à accompagner chaque année, sont les plus à même à déposer une demande de subvention dimensionnée à la réalité de leur territoire, estime Alexia Santese, la responsable de l’ingénierie de projet et du développement. En trois mois, on ne peut travailler qu’en réseau coordonné avec une structure présente sur place, si on veut avoir un réel impact efficace sur la vie de ces femmes. »
Le dispositif est donc systématiquement « prescrit » aux femmes sur orientation des associations locales d’aide aux victimes de violences conjugales (CIDFF, Femmes de papier, Kyatis…). « C’est très important pour nous à distance, ajoute la psychologue cofondatrice. On ne peut intervenir sereinement que si on ne craint pas pour leur sécurité, et on ne peut être efficaces que si les victimes sont en parallèle accompagnées dans leurs démarches. »
Depuis ses bureaux d’Aubenas, Marine Arrès, la directrice adjointe du CIDFF d’Ardèche résume par téléphone : « Le travail de Psy’Script a aussi permis aux équipes, surtout dans l’urgence des trois premiers mois, d’être plus efficaces dans l’aide aux victimes en leur permettant de se concentrer sur nos missions prioritaires : la qualification des faits et leur accès aux droits. Et on n’avait pas non plus mesuré l’impact positif de la plateforme digitale sur l’agilité numérique des bénéficiaires. Notre conseillère numérique a pu mettre en place un tutorat de prise en main de l’outil, et en profiter pour faire de la pédagogie sur la cyberviolence et la sécurité numérique tel que l’effacement des historiques. » Plébiscité sur le terrain, Psy’Script sera reconduit l’an prochain par le CIDFF de l’Ardèche, sous réserve d’en obtenir les financements publics.
« Toutes ces associations d’aide aux victimes sont tout aussi importantes que les chirurgiens : elles sauvent des vies, la mienne et tant d’autres ! » Charlotte*
Même si l’accompagnement de trois mois s’avère relativement long et court à la fois, les deux fondatrices se réjouissent de constater que « les femmes ne sont plus tout à fait les mêmes après le suivi de Psy’Script : elles arrivent à être plus présentes, à rassurer leur enfants, à se projeter dans un avenir. » Charlotte* la bénéficiaire confirme : « Le soutien quotidien de Psy’Script a été salvateur. Grâce à ce dispositif, je commence à penser à un moi de demain avec mes enfants qui existe sans tout ça. Toutes ces associations d’aide aux victimes sont tout aussi importantes que les chirurgiens : elles sauvent des vies, la mienne et tant d’autres ! »
Si, après un an d’expérimentation auprès de profils et situations de violences conjugales diverses, le dispositif d’accompagnement thérapeutique par l’écrit peut encore être ajusté dans ses modalités, la preuve de son efficacité en ruralité et de son utilité sociale n’est plus à démontrer. Il ne reste désormais plus qu’à le financer pour le déployer sur tous les territoires.
Plus d’infos sur : psyscript.fr
Écoutez le récit audio de l’article Psy’Script, la thérapie par l’écrit
Victime de violences conjugales, Charlotte* est suivie par Psy’Script, un site d’accompagnement psychologique numérique de thérapie par l'écrit. Témoignage.
Écoutez l’histoire du projet Psy’Script, un dispositif de thérapie par l'écrit, accompagné en 2023 par l’incubateur d’innovation sociale Première Brique.
Écoutez l'audio de l'article de Psy’Script, le site de suivi psychologique par l'écrit pour les victimes de violences conjugales.