Grégory Dubernet a cofondé avec Vincent Bissauge la Boîte à Utiles, une association actrice du reconditionné et du réemploi solidaire pour le petit et le gros électroménager à Bruguières. Accompagnée en 2021 par l’incubateur d’innovation sociale Première Brique, la Boîte à Utiles propose un tout nouveau modèle de recyclerie citoyenne, basée sur l’entraide, le partage et l’échange.
Partenariat rémunéré par Première Brique
Que ce soit sur Internet ou en magasin, vous avez sûrement déjà acheté un produit électronique reconditionné : un téléphone ou un électroménager d’occasion réparé et revendu moins cher que son modèle neuf sorti d’usine. Au 31 rue de la Briquèterie à Bruguières (31), se trouve une boîte très utile, une association actrice du reconditionné et du réemploi solidaire pour le petit et le gros électroménager. À première vue, on dirait une recyclerie classique qui offre une nouvelle vie à nos objets électroniques du quotidien, en remplissant ses fonctions de collecte, réparation, valorisation et tri, tout en nous permettant d’économiser les ressources de la planète et de réduire nos déchets. Oui oui, tout ça en même temps déjà.
Et pourtant, la Boîte à Utiles – qui porte très bien son nom en étant « utiles » au pluriel – est bien plus encore que ça : l’association propose un tout nouveau modèle de recyclerie citoyenne ! Citoyenne au sens où de très nombreux habitants du territoire participent et font partie d’une manière ou d’une autre du projet : en apportant un appareil défectueux pour être recyclé, en achetant un électroménager reconditionné, en donnant à réparer un outil en panne, en venant à l’atelier d’auto-réparation, en se formant à la réparation les samedis, en échangeant astuces et bonnes pratiques, en devenant bénévole régulier à l’atelier du reconditionné ou à la Journée Qui-Dé-Boîte le festival du réemploi… Bien plus qu’une recyclerie, la Boîte à Utiles est un lieu d’échanges (oui au pluriel) à part entière.
« Au départ, mon idée est venue d’un besoin personnel de vouloir réparer mes propres appareils d’électroménager et autres outils du quotidien », raconte Grégory Dubernet, ?? ans, le cofondateur de la Boîte à Utiles. Mais quand cet ingénieur dans l’aéronautique est allé voir la Chambre des métiers avec l’envie de monter un projet d’atelier de réparation et du réemploi où il voulait embarquer et impliquer les gens, on lui a rétorqué : « on ne sait pas faire ça ! » À l’image d’un Monsieur Jourdain, le Bourgeois Gentilhomme de Molière qui faisait de la prose sans le savoir, le futur entrepreneur social voulait faire de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) sans le savoir.
« Ils m’ont posé toutes les questions qui fâchent : est-ce que ça n’existait pas déjà ? est-ce que ce n’était pas juste une lubie personnelle ? est-ce qu’il existait réellement un vrai besoin ? » Grégory Dubernet
Alors sur les conseils d’un habitant du coin, Grégory Dubernet candidate en 2021 à l’appel à projets de Première Brique, l’incubateur d’innovation sociale. Et il s’en souvient très bien : « Première Brique m’a permis d’éclaircir mon projet. Les équipes ont d’abord cassé un peu mes idées pour tout remettre à plat et reprendre les bases. Elles m’ont posé toutes les questions qui fâchent : est-ce que ça n’existait pas déjà ? est-ce que ce n’était pas juste une lubie personnelle ? est-ce qu’il existait réellement un vrai besoin ? Pendant la phase d’accompagnement, je suis passé par pas mal d’ateliers de réflexion et de construction du projet… Mais toutes ces bases, elles restent encore aujourd’hui ! » Le porteur du projet confirme : « On a fini le parcours avec un vrai besoin identifié : une solution locale pour un endroit donné, autrement dit pour Bruguières et les communes alentours, et dans un contexte économique donné, en lien avec les difficultés économiques et les préoccupations écologiques, mais aussi la législation votée en faveur de la réparation et du réemploi (comprendre la loi 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, ndlr). C’est ce que j’avais entrevu par mon expérience personnelle : il n’y avait pas d’acteurs dans cette zone du nord de Toulouse… »
Écoutez le podcast La Boîte à Utiles, le récit du projet
Et le cofondateur de poursuivre : « Même s’il existe des acteurs français historiques du reconditionné, comme Envie ou Back Market, ils ne sont pas forcément connus de tout le monde et adaptés à certains publics. On a toute une partie de notre public, les plus âgés notamment, qui sont des habitués du commerce de proximité et qui se méfient aussi des arnaques sur Internet. Ici, ils viennent en totale confiance. Ils savent que s’il y a le moindre problème, il peuvent revenir. Et on a aussi un public plus jeune qui cherche à revenir à la solution d’à-côté ! »
C’est quoi une recyclerie ?
Actrices du réemploi, les recycleries, également appelées ressourceries, collectent des biens ou équipements encore en état de fonctionnement mais dont les propriétaires souhaitent se séparer, les remettent en état pour les revendre d’occasion à toute personne qui souhaite leur redonner une seconde vie, ou en récupèrent les matériaux pour l’industrie du recyclage. En plus de leur mission de réemploi, elles font de la sensibilisation et de l’information sur la réduction et la gestion des déchets auprès des écoles et des habitants. En réinsérant des personnes en difficulté sociale et/ou en sensibilisant sur les déchets, elles contribuent à créer du lien social sur leur territoire.
Dans le bureau administratif, on entend la sonnette retentir à un rythme régulier.« Le point clé de notre association, renchérit l’entrepreneur social, leur proposer de faire par eux-mêmes ! Ici, on leur apprend à comprendre, on les sensibilise à la pratique et aux techniques de l’auto-réparation. Et ils se rendent compte qu’il y a plein de petites pannes qu’ils peuvent réparer très facilement pour faire durer leurs appareils ! »
À la Boîte à Utiles, la frontière entre les clients, les salariés et les bénévoles réguliers n’est pas si évidente à voir au premier coup d’œil. À l’atelier d’auto-réparation, Jean-Luc, 72 ans, démonte sa perceuse achetée il y a quarante ans pour tenter de la réparer. « C’est la troisième fois que je viens pour un de mes outils ou petits appareils et, depuis, tous fonctionnent très bien. Cette fois, pas sûr que j’y arrive… Mais j’apprécie beaucoup venir ici pour essayer. » Si la perceuse n’est pas réparable, le retraité – qui n’est pas aussi bricoleur que l’on pourrait le penser au départ de son propre aveu –, il la leur laissera pour les pièces. Vincent Bissauge, ?? ans, l’autre cofondateur, vient y jeter un œil : « C’est peut-être les charbons ou le circuit-imprimé, essayez de l’ouvrir pour voir… » L’atelier d’auto-réparation, avec son établi et ses outils à disposition, est en accès libre et à prix libre. « En moyenne, précise Vincent, les gens nous laisse 10 à 15 euros pour le service et les conseils rendus. C’est un espace très apprécié : sur les deux derniers mois, on y a reçu pas moins de 80 personnes ! » Et c’est sans compter Le Repair Club qui organise chaque samedi un atelier de formation découverte sur la consommation responsable, l’entretien et la réparation des objets domestiques.
« Je suis venue acheter ma gazière il y a deux ans, elle marche super et on est très bien accueillie ici » Sandrine, une cliente
Sur le vaste parking, les deux sexagénaires Francine et Sandrine (oui, ça ne s’invente pas) débarquent avec dans leur coffre un sèche-linge en panne. « Je suis venue acheter ma gazière il y a deux ans, elle marche super et on est très bien accueillie ici », assure Sandrine. Grégory Dubernet amène un « skate » pour les aider à décharger leur gros électroménager et l’examiner. Rapidement, tournevis à la main et après avoir fait le tour de la machine, le diagnostic du réparateur professionnel tombe : « c’est la courroie ! » À le voir, on pourrait croire que le cofondateur est un très mauvais vendeur… Mais en discutant avec Francine, il apprend que c’est une réparation qu’elle sait faire : alors, il lui conseille de s’en charger elle-même pour éviter de payer 100 euros la réparation, pièce et main d’œuvre comprises. Tout en lui proposant, si elle le souhaite, de revenir ici avec la pièce pour effectuer la réparation si besoin. La scène peut sembler un peu surprenante si l’on se place dans le cadre d’un modèle économique classique. Mais La Boîte à Utiles n’a rien de conventionnel dans son approche du reconditionné, car l’association sociale et solidaire mise avant tout sur l’entraide et le partage des connaissances.
L’ambiance qui règne d’ailleurs dans l’atelier de réparation le confirme aussi. Aux postes de l’atelier du reconditionné, se côtoient Delphine une salariée qui photographie, documente et numérote minutieusement les pièces du micro-onde qu’elle est en train de remettre en état. À ses côtés, un jeune en apprentissage apprend le métier et un retraité bénévole régulier est en train de combiner les pièces de deux aspirateurs de marque pour n’en faire plus qu’un en parfait état de marche : « Je veux comprendre comment fonctionnent les choses. J’aime cette logique anti-gaspi de récupérer et réparer ces appareils pour qu’ils puissent à nouveau servir ensuite à des gens qui en ont besoin. C’est très satisfaisant ! »
Mais d’où viennent ces appareils usagers et comment se passe le circuit de cette économie circulaire, en partant de la collecte jusqu’au produit reconditionné et remis en vente dans la boutique ? En tant que structure de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), La Boîte à Utiles, conventionnée par l’éco-organisme Ecosystem, peut collecter tous les Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques (DEEE), en vue de leur réemploi ou recyclage. « On les récupère soit auprès des particuliers qui nous les apportent directement, soit auprès des magasins distributeurs partenaires qui ont l’obligation légale de collecter votre ancien appareil après l’achat d’un neuf. » Une fois à la recyclerie de Bruguières, l’électroménager peut être au mieux remis en état et revendu, voire utilisé pour ses pièces détachées ou pour un usage pédagogique technique, et au pire démantelé pour le tri et le recyclage de ses déchets.
Dans l’atelier, l’appareil collecté passe par un processus de réparation très précis avec des fiches de suivi par étape : point de contrôle de fonctionnement, diagnostic de réparation, vérification des points d’usure et nettoyage. « C’est l’étape la plus importante, le produit reconditionné doit donner envie. On le garantit même 12 mois pour le gros électroménager et 6 mois pour le petit, annonce Grégory. Et s’il reste un défaut non réparable qui n’empêche pas l’usage de la machine, on ne se résout pas à la jeter, on la met à la vente avec cette information mais sans la garantie. Cela permet aussi à un public précaire de repartir avec une machine à laver à très petit prix. Pour eux, même 100 euros, c’est déjà trop… »
Dans l’espace boutique, on trouve donc de l’électroménager reconditionné presque comme neuf à petits prix : des sèche-linges de 50 à 230 €, des petits réfrigérateurs à moins de 50 €, un blender à 19 € et un airfryer à 50€, une tondeuse à 80 € ou des écrans plats à 40 €… Cafetières, grille-pains, robots de cuisine, aspirateurs, centrales vapeur : ici, c’est le paradis des bonnes affaires ! « Depuis 2022, calcule Vincent Bissauge, on a vendu pas moins de 1 000 appareils reconditionnés ! » La Boîte à Utiles propose même un service d’échange instantané d’un produit en panne contre un produit similaire de seconde main, en plus de tout un accompagnement technique. « Avec nos clients, ajoute Grégory Dubernet, on part de leurs besoins, de leurs usages, on parle de la disponibilité des pièces et de la réparabilité des machines, on partage avec eux les bonnes pratiques d’entretien des appareils. Après être passé chez nous, on ne choisit plus son électroménager de la même façon. »
Les deux cofondateurs, amis depuis leurs études et voisins, ont quitté leurs prestigieux postes d’ingénieurs dans l’aéronautique pour ce projet de recyclerie atypique un peu fou. « Dans mon précédent métier, se rappelle Vincent le cofondateur, je me sentais en totale dissociation avec mes convictions environnementales et sociales, j’avais le sentiment qu’avec ce modèle économique du chiffre et du toujours plus, on avait en quelque sorte perdu notre boussole… » Au milieu des machines, Grégory l’ami cofondateur reconnaît même avoir été au bord du burn out dans son ancienne vie professionnelle. Voilà pourquoi, post-Covid, il a décidé de quitter son environnement de travail délétère. Vincent, lui, n’a pas quitté pas son ancien poste tout de suite, et il a suivi l’avancée du projet sans entrer dans l’incubateur. « On ne pouvait pas prendre tous les deux des risques importants en même temps, assure-t-il. Alors, j’ai joué le rôle du regard extérieur, tout en étant très impliqué dans le projet, pour rejoindre l’aventure de la Boîte à Utile en janvier 2023. »
Aujourd’hui, même si l’équilibre économique reste encore à stabiliser sur la durée, la Boîte à Utiles a l’objectif de passer à 3 ou 4 salariés en 2026, en plus de la quinzaine de bénévoles réguliers formés par les deux ingénieurs et des 70 autres qui soutiennent l’association au total. « Habitants, acheteurs-réparateurs, bénévoles, salariés, cofondateurs, autres acteurs locaux du réemploi sur le territoire, on avance tous ensemble », ajoutent les deux cofondateurs en mettant en avant la force de ce collectif de citoyens.
Définitivement, la Boîte à Utiles offre au secteur nord de Toulouse bien plus qu’une simple recyclerie, l’association propose un lieu où la solidarité et le lien social se vivent au quotidien. Il n’y a qu’à se rendre à la Journée Qui-Dé-Boîte, leur festival du réemploi fin août à Bruguières aux 800 visiteurs, pour tous les rencontrer, y compris les partenaires des autres branches de la filière : Cafés Bricol’, FabLab Créatech, Screlec pour les piles et batteries, HexEco les recycleries du sport et du vélo, In the Book again pour la papeterie et les fournitures scolaires… À savoir tout ce qui existe dans le domaine du réemploi et du reconditionné en local !
Plus d’infos sur : la-boite-a-utiles.fr
Écoutez le récit audio de l’article La Boîte à Utiles, la recyclerie citoyenne
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