Forte de 55 producteurs locaux et de 77 magasins partenaires, la coopérative Consign’Up relance l’usage de consigne pour la bouteille en verre, mais aussi toute une économie circulaire locale pour la filière du réemploi ! Retour avec Jodie Martin, la nouvelle directrice opérationnelle de Consign’Up, sur un projet qui avait été porté par Caroline Pillore avec un collectif de citoyens et par Marion Lembrez qui avait été accompagnée en 2018 par l’incubateur d’innovation sociale de Première Brique.
Partenariat rémunéré par Première Brique
Faisant sa tournée avec sa camionnette, un livreur, veste et casquette blanches, dépose devant les portes des maisons un casier de six bouteilles de lait frais et repart avec un casier de six bouteilles en verre vides à la main. Si on en a aujourd’hui oublié le geste, on en a curieusement conservé l’image d’Épinal par le biais notamment du cinéma hollywoodien. La consigne, ce système qui permettait de ramener des bouteilles en échange d’une somme d’argent et qui était autrefois courante en France, a presque totalement disparu dans les années 90.
Mais alors pourquoi avons-nous perdu ce geste de la consigne il y a un plus d’une trentaine d’années ? Simplement parce que nous sommes passés aux bouteilles en plastique à usage unique, et au tri-recyclage de nos bouteilles en verre. Aujourd’hui, 80% des verres sont triés et déposés par les Français dans les bacs ou conteneurs à verre mis à disposition par les municipalités, avant d’être collectés, brisés et fondus en de nouvelles bouteilles en verre. Mais alors, où serait le problème si on trie déjà ? « Pour refabriquer une bouteille, en plus du verre recyclé, il faut y ajouter 40% de matières premières, du sable notamment, explique Jodie Martin, directrice chez Consign’Up. Pour le recyclage du verre, on continue donc de puiser dans nos ressources naturelles. Sans compter que l’usine verrière va devoir chauffer le tout 24h à 1500°C. Alors qu’avec la consigne, on va juste réutiliser nos bouteilles vides que l’on va nettoyer seulement 20 minutes à 80°C. Ce qui constitue une économie de 75% d’énergie, 50% d’eau, de 80% d’émissions de CO2. »
Et si la bouteille en verre consignée faisait donc son grand retour dans nos habitudes de tous les jours ? « Oh, cela fait bien quarante ans que je n’ai pas fait ça ! », commente une sexagénaire croisée dans les rayons du magasin Biocoop de la Trinité quand on lui pose la question. Quelques rayons plus loin, Floriane, la trentaine, reconnaît avoir repéré les étiquettes jaunes « Je suis consignée » ajoutée dans les rayons bière, lait, jus et vin, et avoir déjà acheté des bouteilles consignées, tout en concédant que pour l’instant elle ne les a pas rapportées.
« On n’achète plus que des vins en bouteilles consignées. C’est devenu un critère pour nous, en plus de la qualité des vins bien sûr. On les garde à la maison, et quand on en a cinq ou six, on les ramène à la caisse du magasin. » Séverine et Johnny, des clients
Alors que pour Séverine et Johnny, la quarantaine, ça y est le geste est entré dans leurs courses quotidiennes : « On n’achète plus que des vins en bouteilles consignées. C’est devenu un critère pour nous, en plus de la qualité des vins bien sûr. On les garde à la maison, et quand on en a cinq ou six, on les ramène à la caisse du magasin. » Johann, le responsable frais du Biocoop de la Trinité, le confirme : « Certains oublient encore de nous les retournées, c’est vrai, même si on leur redit en caisse en leur parlant des 30 centimes qu’ils payent pour chaque consigne et qu’ils pourront récupérer en la ramenant. Mais on le voit bien, nos clients habitués sont de plus en plus nombreux à le faire… » Le stock des casiers noir et jaune de Consign’up empilés, qui se remplissent plus rapidement dans la réserve, le confirment effectivement. « Et quand tous les casiers sont pleins, indique Johann, on les prévient et ils viennent les récupérer directement en magasin. »
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Consign’Up, le récit du projet
Si Consign’up a fourni un kit d’affichettes pour rendre plus visible les bouteilles consignées auprès des clients à ses magasins partenaires, il existe un logo national mis en place par France Consigne. Si vous voyez ce picto qui forme une bouteille entourée de quatre flèches, trois vertes et une noire, qui dit « Rapportez-moi pour réemploi », vous ne pouvez pas vous tromper : cela veut dire qu’il s’agit bien d’une consigne ! La directrice opérationnelle de Consign’Up complète : « Les magasins nous versent un abonnement annuel en fonction du nombre de passages de collecte à l’année. » Avant de poursuivre côté clients : « Et pour les consommateurs et consommatrices, on fonctionne sur le principe de la consigne monétaire de 30 centimes la bouteille payée à l’achat, comme indiqué sur le ticket. Mais ces 30 centimes versés ne sont pas perdus ! Vous allez pouvoir vous les faire rembourser au moment où vous rapportez en magasin la bouteille vide consignée. Aujourd’hui, on est sur environ 45% de retours : ce qui fait que l’on récupère encore les 30 centimes des 55% de consignes non-retournées. Sachant que notre objectif principal est bien d’atteindre les 80% de retours, comme c’est le cas en Allemagne où le geste de la consigne ne s’est pas perdu… »
Dans le grand centre de lavage de Consign’Up à Porter-sur Garonne (31), les stocks de bouteilles en verre vides récupérées pour réemploi dans les magasins (épiceries indépendantes spécialisées bio, Biocoop, le Drive tout nu, le Fourgon…) et chez les producteurs qui font de la vente directe (bières, jus, lait et vins) est pour le moins impressionnant. Logique puisque la société coopérative d’intérêt collectif Consign’Up compte pas moins de 77 distributeurs points de collecte et de 55 producteurs locaux partenaires dans 7 départements de l’ouest de l’Occitanie.
Jodie Martin, 34 ans, la directrice opérationnelle de Consign’Up, fait la visite du site tout en expliquant le circuit de la consigne. Les bouteilles en verre consignées collectées arrivent par camions entiers. D’abord, elles sont triées dans des palox, de grandes palettes grillagées, par type de bouteilles (bordelaise, bourgogne, jus, bière, limonade, lait) et par teinte (foncé, vert, brun, transparent).
Pour l’instant, chez Consign’Up, on ne traite que quinze formats de 75 cl à 1l, mais pas de 33 cl. « L’un des grands enjeux de la consigne, c’est la standardisation des bouteilles afin de pouvoir mutualiser les opérations de collecte, de tri et de lavage, affirme la directrice. Car, une fois lavées et prêtes à être rembouteillées, les producteurs ne récupèrent pas leurs propres bouteilles, mais des bouteilles standards de même format et de même teinte. » Avant de poursuivre : « Et l’étiquette aussi doit être adaptée à nos standards : un papier couché sans vernis avec de la colle hydrosoluble, autrement dit soluble dans l’eau, pour qu’elle se décolle facilement afin d’être remise dans le circuit. » En résumé : l’important pour la consigne, c’est d’être sur la bonne bouteille, le bon logo et la bonne étiquette !
Consign’Up : les partenaires de la logistique
Les partenaires de la collecte et de la logistique de Consign’Up sont : Green Buro, une entreprise d’insertion de collecte des déchets auprès des professionnels, Bières Des Régions, une coopérative de producteurs de bières artisanales régionales, mais encore Les Rudovaloristes, Valoris, Optivia transports…
Dans le hangar, entre le stocks des bouteilles (sales d’un côté et propres de l’autre) et les bureaux, se trouve l’imposante laveuse par immersion industrielle mise en fonction en novembre 2024. « Actuellement, on est à 300 000 bouteilles par an, comptabilise la directrice. Mais la machine est capable d’en laver 3 000 à l’heure ! On compte donc rapidement passer le cap des 500 000 l’an prochain, puis celui du 1,5 million en 2027. Sachant qu’en Occitanie, avec les 300 brasseurs régionaux, c’est tout à fait possible ! »
Mais alors comment fonctionne la laveuse par immersion industrielle de Consign’Up ? Les palox grillagées de 500 bouteilles sur roulettes sont amenés au départ du convoyeur tapis roulant et les bouteilles rentrent dans la laveuse 10 par 10. Le circuit de lavage dure en tout et pour tout 20 minutes. Les bouteilles en verre consignées passent par plusieurs bains pour être d’abord lavées par une eau à 80°C avec 2% de soude, puis rincées par de l’acide peracétique et plusieurs bains de rinçage à l’eau froide. L’action chimique écologique et thermique va permettre de décoller l’étiquette et de désinfecter les bouteilles. Au passage, elle éjecte les étiquettes dans un bac de collecte. Dans le circuit de la laveuse, les bouteilles sont retournées la tête en bas afin d’en nettoyer parfaitement l’intérieur et qu’elles en sortent propres à la consommation. Le plus de la consigne ? Une seule et même bouteille consignée va pouvoir passer au cours de sa vie par 20 à 30 cycles de lavage.
« Si on cherche à remettre dans le circuit du réemploi un maximum de bouteilles consignées, la sécurité des consommateurs restent avant tout notre priorité ! » Jodie Martin
Si la laveuse fonctionne en grande partie de manière automatisée, la chaîne de lavage est supervisée d’un bout à l’autre par des quatre opérateurs et deux ingénieures qualité hautement qualifiées. Les bouteilles en verre passent ensuite par l’insuffleuse d’air comprimé pour être séchées, et par la table de mirage. Et la directrice de opérations de préciser : « Il s’agit d’un poste important, qui n’est actuellement pas automatisé mais qui pourra l’être. Muni d’un tableau lumineux, le mirage nous permet de repérer les éventuels résidus d’étiquette, les bouteilles mal séchées et surtout les ébrèchements. Si on cherche à remettre dans le circuit du réemploi un maximum de bouteilles consignées, la sécurité des consommateurs restent avant tout notre priorité ! »
Enfin, dernière étape dans le hangar-usine, la palettisation : les bouteilles sont remises en palettes, cerclées, protégées par des intercalaires en carton, coiffées par une housse thermorétractable et prêtes à être revendues et réexpédiées chez l’un des 55 producteurs partenaires de la filière en vu d’être réembouteillées par les viticulteurs, brasseurs, producteurs de lait et de jus… Et c’est tout bénef pour eux, puisqu’une bouteille en verre consignée peut coûter jusqu’à 30% moins cher qu’une bouteille neuve ou recyclée !
L’acide peracétique est-il écologique ?
L’acide peracétique est considéré comme un produit de désinfection écologique, car il se décompose rapidement en eau, en oxygène et en acide acétique, qui sont tous des composés naturels. De plus, il ne produit pas de sous-produits toxiques qui pourraient nuire à l’environnement.
Dans les bureaux, l’équipe de six salariés est en réunion de travail pour organiser la prochaine grande session de lavage hebdomadaire : Charlotte la responsable technique, Emma la référente qualité, Antonin le responsable commercial en relation avec les distributeurs, Cloé la responsable logistique et financements. Jodie en profite pour faire un rappel de l’historique du projet : « Au départ, pour être très précise, c’est Marion Lembrez puis Caroline Pillore qui ont porté ce projet avec Première Brique en 2018 à la suite d’une initiative citoyenne pour remettre en place la consigne. Et c’est en 2022 que la coopérative s’est montée… » Aujourd’hui, Consign’Up est une société coopérative d’intérêt collectif (Scic) qui rassemble un nombre croissant d’acteurs locaux de toute la filière du réemploi dans l’ouest de l’Occitanie. La coopérative compte pas moins de 100 sociétaires au total (consomm’acteurs, salariés, distributeurs, producteurs, partenaires opérationnels et financiers) qui se réunissent en conseil d’administration (5 personnes au CA) tous les mois, en assemblée générale tous les ans et en groupe de travail par thématiques tous les semestres. Dans ses nouvelles brochures, Consign’Up lance d’ailleurs un appel à tous les acteurs : « Vous pouvez rejoindre notre réseau de professionnels et de particuliers mobilisés pour développer la filière locale de réemploi des bouteilles en verre et contribuer à la transition écologique, en devenant sociétaires ou en participant à notre campagne de financement participatif ! »
Écologiquement parlant, tout l’intérêt du réemploi par la consigne est plus qu’évident. Mais économiquement parlant aussi ! Car tout l’intérêt de la consigne consiste à maintenir les nombreux emplois non-délocalisables de la filière. Bien sûr en soutenant les producteurs locaux, mais aussi en réindustrialisant localement les territoires. Grâce à la loi AGEC en faveur de l’économie circulaire, le secteur de l’agroalimentaire va devoir atteindre les 10% d’emballages réemployés d’ici à 2027 ! Résultat : tout le réseau national de la consigne, de l’éco-organisme France Consigne au Réseau Vrac & Réemploi, s’organise pour poser les standards de la consigne et mailler les territoires d’un outil industriel opérationnel, comme celui de Consign’Up sur l’ouest de l’Occitanie. La directrice renchérit : « On travaille en réseau avec notamment Oc’Consigne à Montpellier, mais aussi avec tous les acteurs nationaux de la filière pour se structurer, de la production des bouteilles à la logistique en passant par les laveuses industrielles, afin de pouvoir réindustrialiser tout notre outil de production en France. »
Ainsi, la coopérative Consign’Up participe non seulement à la relance d’un usage de la consigne pour la bouteille en verre bien plus vertueux écologiquement parlant, mais aussi à la relance de toute une économie circulaire locale pour la filière du réemploi !
Plus d’infos sur : consignup.org
ReUse, le projet national de collecte des consignes en verre
Bretagne, Pays-de-la-Loire, Normandie, Hauts-de-France, ces quatre régions sont pilotes pour le grand projet national ReUse de collecte des consignes en verre, animé par Citeo et Adelphe. Il sera possible de rapporter les contenants en verre, comme les bouteilles ou les pots, dans des points de collecte en échange d’une consigne monétaire, en carte bleue ou en bons d’achats, de 10 centimes pour les petits contenants et de 20 centimes pour les gros.
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Consign’Up, le retour de la bouteille en verre consignée !
Écoutez le récit de Consign'Up, la coopérative qui relance l’usage de consigne pour la bouteille en verre, mais aussi toute une économie circulaire locale pour la filière du réemploi.
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Ma Bibliothèque d’Objets est un service innovant de prêt d’objets installé dans le quartier de la Cartoucherie à Toulouse. Mais comment ça fonctionne concrètement le prêt d’objets ? Fabien Estivals, qui a cofondé Ma BO avec Marie Boillot la présidente de l'association, l’explique et raconte l’histoire de ce projet qui fait partie de la promotion 2021 de l’incubateur d’innovation sociale de Première Brique.